LE TESTAMENT
Avant de passer l'arme à gauche
Avant que la faux ne me fauche
Tel jour telle heure en telle année
Sans fric sans papier sans notaire
Je te laisse ici línventaire
De ce que j'ai mis de coté
La serviette en papier où tu laissas ta bouche
Ma mèche de cheveux quand ils n'etaient pas gris
Mon moulard quelques plume(s) et cette chanson louche
Avec autant de mots que nous avions de nuits
Lóreille de Van Gogh la pipe de Balzac
Cette armée d'anarchie et ses fanfares blêmes
Le cheval qui travaille avec son petit sac
Où dorment des prairies d'avoine et de carême
L'enfer de Monsieur Dante où je descend ce soir
Un paquet vide de Celtiques sur la table
Quelques stylos à bille aux roulement déspoir
Avec dans leur roulis des chansons... formidables...
Le zinc de ce bistrot où nous perdions nos gueules
Cette affiche où nos yeux écoutaient des bravos
Cette page dánnonce(s) où s'ennouie toute seule
Notre maison avec mes rêve(s) en in-quarto
Le pick-up du tonnerre et les gants de la pluie
La voix d'André Breton l'absinthe de Verlaine
Les àmes de nos chiens en bouquets réunies
Et leurs paroles dans la nuit comme une traîne
Avant de passer l'arme a gauche
Avant que la faux ne me fauche
Tel jour telle heure en telle année
Sans fric sans papier sans notaire
Je te laisse ici l'inventaire
De ce que j'ai mis de coté
Mais je te laisse ça comme une chanson tendre
Avec ta fantasie qui fera beaucoup mieux
Et puis ma voix perdue que tu pourras entendre
En laissant retomber le rideau si tu veux
Leo FERRÉ